L’arc de cette paupière, une perfection !
Je scrute la photo et je suis hypnotisée par ces yeux verts, soulignés de noir, ce menton volontaire, ces oreilles décollées. Elle y fait tenir ses cheveux, en arrière.
Dans le ranch près de la rivière, la nuit vient de tomber. Les petites lumières ballon sont maintenant allumées au-dessus des nombreuses tables et donnent un air de guinguette à la soirée. Les invités sont enchantés, envoutés, tout est calme et festif dans la montagne. Rencontre du vent et de la musique, il est question de se soutenir pour le pire et le meilleur dans cette vallée.
Il fait frais maintenant. Bientôt les mariés ouvriront le bal, on se réchauffera.
Ils se dirigent lentement au centre de la piste. Elle s’est changée. Un pantalon court et une veste épaulée, le tout fluide, géométrique, sur des chaussures plates. Dans son corps, une ballerine ferme. Quand elle lève la tête vers son époux, elle regarde dans ses yeux avec légèreté et nudité. Un oiseau fragile et fort à la fois. Libre. Il passe une main derrière sa taille et de l’autre épouse la sienne, ils entament cette première danse.
Ils viennent juste de se coucher, ils viennent de s’aimer.
Cecily est danseuse.
Aucun remou dans son inspiration. Elle travaille. Elle nous entraîne dans son Lac, entièrement punk, cela lui vient sans doute de sa noblesse, l’extase. Elle choisit si bien ses tenues, parfaitement adaptées à ce corps musclé. Les tissus sont aériens, à l’inverse de son caractère, concentré, besogneux.
Elle semble danser à la fois ce qui voyage et ce qui ne bouge pas, reproduire des choses qu’elle a vues ou senties.
Je voudrais bien imiter son rythme. Cela a beaucoup d’importance, car sur la photo, je sens qu’elle a compris. Je me sens voltiger, c’est le désir fou de l’Etoile qui anime mon propre ballet.
Elle vient vers moi depuis la nuit des temps, s’arrête sur scène, d’où elle peut me contempler. Je la laisse faire. Je ne me cache plus. Et je rejoins ses spectateurs, enlacés dans les courbes de ses bras, à l’autre bout des planches. Elle est invisible à l’effort, des pieds à la tête, elle n’est que douceur et grâce, mais déjà l’animal s’en retourne et me manque affreusement.
Cecily ne sait pas, ne saura jamais que je l’aime de très loin, de là où je peux, parce qu’elle est tout ce que je ne suis pas, elle a fait de son rêve sa vie, elle a un ange à elle qui la rend belle, elle invente des pas de danse qu’elle sait apprécier, elle fera pareil avec ses enfants.
Elle n’est rien pour moi, que cet ange qui apparaît sur la photo et pourtant la seule personne qui me retienne encore ici.
Un petit rien de l’art qui soutient la voûte du ciel.
Félicitations, Cecily.