Mille voix et l’intrigue d’un « Automne malade »,
peut-être Guillaume Apollinaire était-il en deuil ce jour-là.
Il entendit le brame du cerf dans un village escamoté du Sud,
et les morts rassemblés dans une atmosphère humide,
ânonnant des vers.
Tous furent veillés, en nombre de prières équivalentes à leurs intentions,
« nous avons eu peur, l’ordre et la vérité nous occupaient »,
s’étaient-ils défendus,
je suis la dame vêtue de noir qui remettait du bois dans le feu,
j’ai veillé les morts à demi ébranlés devant mes yeux,
à demi soumis,
la porte était grande ouverte,
ils m’attendaient.
« Viens, viens avec nous », disait leur souffle si caressant.
Les mille voix se séparèrent et je les vis presque distinctement.
J’eus un peu de mal toute seule,
les portes sont lourdes et mon corps me manque,
je n’irai pas sans lui, il me rappelle ma jeunesse.
Quand je suis entrée, j’étais malade,
comme l’Automne.
C’est le premier pas le plus difficile,
l’accident.
…
« Automne Malade »,
Automne malade et adoré
Tu mourras quand l’ouragan soufflera dans
les roseraies
Quand il aura neigé
Dans les vergers
…
Pauvre automne
Meurs en blancheur et en richesse
De neige et de fruits mûrs
Au fond du ciel
Des éperviers planent
Sur les nixes nicettes aux cheveux verts et
naines
Qui n’ont jamais aimé
…
Aux lisières lointaines
Les cerfs ont bramé
…
Et que j’aime ô saison que j’aime tes rumeurs
Les fruits tombant sans qu’on les cueille
Le vent et le forêt qui pleurent
Toutes leurs larmes en automne feuille à feuille
Les feuilles
Qu’on foule
Un train
Qui roule
La vie
S’écoule
….
Guillaume Apollinaire, Alcools, 1913