Cavalier en C5
Le joueur caché propose de s’arrêter, jeu nul
Elle refuse, elle veut gagner, c’est la dernière partie du tournoi
La partie est ajournée, reprendra le jour suivant
Le joueur caché écrit son prochain coup dans un pli
Et pendant l’ajournement, la joueuse va faire quelque chose qu’elle n’a jamais fait
auparavant, faire appel à d’autres joueurs
Ils refont le jeu
Chacun étudie un coup et lui transmet le déroulement
Elle est prête, elle a tout mémorisé
Le lendemain, la partie peut reprendre, le pli est ouvert, le joueur caché commence
On redémarre le sablier
La joueuse doit se concentrer, trouver un nouveau moyen de voir
les pièces qui dansent, qui se matérialisent, jouent leur jeu
Elle se concentre, elle doit se faire confiance, elle doit enfin
réaliser un acte de foi, pour comprendre ce qu’elle fait là
Ce qu’elle a fait toutes ces années, attirée par le jeu des pièces
Il est le meilleur d’entre eux
Maintenant elle doit s’affirmer
Elle ferme les yeux, ses mains jointes, ses doigts croisés, les coudes sur la table
Elle doit voir
Au plafond, les pièces se mettent à bouger, elle lève les yeux
Les pièces se déplacent, elle les observe
L’échiquier du haut est celui qui la conduit, il est dans sa tête,
projeté sur les murs
Le joueur caché ne comprend pas ce qu’elle fait, elle était perdue
Le fou, elle place son fou, prend le cavalier
Silence dans la salle, le joueur caché sourit, tous les spectateurs sourient
Oui, elle vient de gagner
Il est soulagé
Les spectateurs, les autres adversaires sont satisfaits, heureux
Ils passent le relais à une joueuse brillante, c’est dans l’ordre des choses
Ils sont tous délivrés
Le joueur caché se lève, la prend dans ses bras, la salue, il est fier
Elle vient de le libérer de son piédestal, du podium sur lequel il était monté
Et c’est normal
Il s’était enrôlé dans le travail
Elle l’a fait tout naturellement
Elle se suit
Elle sort, marche dans la rue. Tous les joueurs y sont, des joueurs il y en a beaucoup
Ils jouent toute la journée, la saluent à leur tour
Ils l’invitent à s’assoir à leur table
Tous ils regardent la nouvelle partie
L’échiquier est vieux et les pièces polies d’avoir tant servies
Elle prend les pièces et les pose sur le plateau, vite, habilement, elle est les pièces
Ses yeux sont clairs, maintenant ils savent
Pourquoi s’est-elle réinstallée à la table?
Parce que le jeu d’échec doit se rejouer inlassablement
Ils bougent tous les jeux
Sa liberté intérieure n’en souffrira pas, elle est faite de cela
Depuis toujours
Alors lorsqu’elle s’installe, elle respire, profondément
« Il est des jeux qui sont douloureux, vous le savez. Mais la difficulté en rehausse les délices. Les règles du jeu d’échec sont les lois de la nature. L’échiquier représente le monde et les pièces sont des phénomènes de l’Univers ». Aldous Huxley.