J’arrivai dans cette petite ville côtière et je fus tout de suite charmée par les maisons à colombages, aux toits et balustrades colorées. Je repérais la direction menant au centre-ville et un sentier, à l’Est, longeant la falaise. La rue que je pris pour arriver à l’appartement était parallèle à la promenade, longeant le littoral, l’appartement était donc bien tout près de la mer. Découvrant le village, je me mis à rêver que j’allais passer un séjour idyllique.
Je louai une location composée d’une chambre et d’une pièce principale, équipée d’une grande baie vitrée et disposant d’une cuisine mignonette, d’un canapé beige et d’une table basse dans une partie salon, d’une petite table en bois clair, carrée, et d’une longue commode à portes coulissantes dans la partie salle à manger. Je posai sur la table mon sac à main, ma bouteille d’eau et transportai ma valise -que j’ouvris contre le mur-, dans la chambre. Je me voyais déjà écrire, marcher sur la promenade et j’avais hâte d’aller remplir le réfrigérateur. Je me fis couler un café et sortit sur la terrasse. Tous les jours, du réveil au coucher, à marée montante ou descendante, par tout temps, en toute lumière, j’allais voir l’Océan. Des frissons me parcouraient le dos et je décidais de rentrer toute entière dans mes vacances.
J’étais venue pour cette force, cette foi, ce rythme, cette assurance.
Je partis à la recherche de la rue commerçante, et de là, m’arrêtai à la poissonnerie, à la boucherie, à la supérette et à la boulangerie. Il faisait nuit et les embruns refroidissaient mon nez malgré l’écharpe. Je portais des gants et une grosse veste d’hiver, je me refroidissais tout de même. Je revins par de petites rues tranquilles, m’égarant un peu, et fus heureuse de retrouver le confort de l’appartement. Dévisager les villas, les façades, les rues adjacentes, les recoins, avait été un délice, je suis d’une nature très curieuse. Une fois débarrassée de mon manteau et des accessoires , je rangeai les courses, sortis une bouteille, un verre à pied, me servis, et commençais à déguster le vin tout en préparant le dîner. Je coupais quelques tranches de saucisson, j’ouvris la boite d’olives -j’avais acheté du poulet, des crevettes, des pommes, des endives, des yaourts, des céréales, du lait, du café, du beurre et une boite de chocolat-, je posai une pomme verte sur la table et m’installai avec mon carnet, face à l’Océan, dont je pouvais distinguer les mouvements . Je commençai alors à écrire tout en grignotant et en savourant les pralinés.
Un peu plus tard je finirais mon verre sur la terrasse, accoudée à la balustrade, et j’écouterais les vagues longtemps.
J’ai passé quatre jours à Wimereux, dans les Hauts de France, c’était le 2 janvier 2021 et je reprenais l’autoroute seule pour la première fois depuis longtemps. Ces dernières années, j’étais angoissée durant les longs trajets, à tel point qu’il me fallait parfois m’arrêter. Je me suis donc propulsée dans ce voyage avec grande délectation, c’était touchant, courageux. Je me suis beaucoup adressé à moi, beaucoup, souvent, je veux dire, à elle, qui m’écoute, me regarde, clarifie ce que je dis, pour que je puisse entendre. Lui parler, lui écrire, la lire, l’entendre, lui parler, lui écrire, la lire, l’entendre….je lui ai donné tout ce que je pouvais.
Cette traversée vers le Nord fut magique. Le couvre-feu ne me permit pas de faire la route d’une seule traite. Aussi je m’arrêtai à Reims, dans un hôtel qui restera sans doute un de mes plus beaux souvenirs. Sans doute à cause de la liberté, de l’apaisement, de la sérénité, ou était-ce cette cheminée devant laquelle je m’étais installée pour écrire? Je sentais mon corps se détendre, je commençais à respirer lentement, à me souvenir de moi. Finalement je n’avais pas encore mis au monde cette femme que je devais être, et tant mieux, elle eut du temps pour se préparer. Tant et si bien que lorsqu’ elle se présenta plus tard, je fus épatée, conquise, touchée, je l’aimai tout de suite.
Au matin, je pris un long petit déjeuner, accompagné du journal et de mon carnet de notes. Puis je voulus profiter de la cour intérieure, le bâtiment était une ancienne abbaye, cette cour était magnifique, verdoyante. Je me souviens de ce moment comme si c’était hier, un moment de délivrance. Quelque chose s’est passé qui déposa un poids à mes pieds. Je pense que c’est à ce moment que j’ai vraiment su que tout commençait.
Il y avait peu de monde dans l’hôtel, je regagnai ma chambre, fis mes valises, descendis régler et me dirigeai vers le parking.
Il restait deux heures et demi de route qui furent également les plus belles à ce jour, tout est décidément une question de « timing ». Je pris le temps d’observer, de faire des pauses et enfin j’arrivai. La route me mena jusqu’à un promontoire et tout à coup elle était là, devant moi, majestueuse. Je lâchai le volant, levai les bras et criai « la mer ! ». Mon corps m’avait surpris. J’en eus les larmes au yeux et j’en ris.
C’est durant ce séjour que je dis au revoir à mon analyste. Au téléphone. De nouveau j’eus les larmes aux yeux, on ne sort pas d’un travail qui demande tant de courage sans une certaine émotion. En tout cas, j’étais touchée. Je l’ai remercié. Et je lui dis: « je ferai les vingt derniers mètres seule, comme à mon habitude ». Je crois, aujourd’hui, que j’avais d’autres projets en tête, qui ne m’avaient pas encore été dévoilés. Je n’allais pas faire cette route seule.
Bien qu’une analyse soit infinie, il y a un moment où l’on s’autorise à dire qu’on est bien, que l’on a trouvé les ressources, le moyen de continuer sans le transfert et pour moi ce fut l’écriture.
Ces jours m’ont paru une éternité de vibrations et de frissons.
Au retour je décidai de passer par la Belgique où j’avais vécu de belles années, et bien que le Ring de Bruxelles fut assez fluide, je décidai finalement de ne pas aller revoir mon appartement, dans le quartier d’Ixelles, pour lequel j’avais une affection particulière, avec ses maisons de briques rouges, sa boulangerie marocaine et la place Flagey. Bruxelles fut la ville de mon premier contrat de travail à durée indéterminée, ma vie d’adulte, il y a plus de vingt-cinq ans, et j’eus de la chance car c’est une ville généreuse.
Et donc, je continuai tout droit sur la E 411 à travers la Wallonie, avec ses longues côtes flanquées de forêts de conifères de chaque côté, juste un peu avant la frontière luxembourgeoise. A droite, les Ardennes, à gauche, la Gaume, j’y habitais également quelque temps, dans un petit village du nom de St Rémy. A l’époque je roulais avec une Yamaha 600 Diversion verte foncée, enfin les week-end
s et en soirée. Je ne l’ai plus, mais je me surprends à rêver de moto encore parfois.
La frontière, la nuit, puis le goudron parfaitement lisse et noir, troisième sortie à droite, je traverse la forêt et en moins de vingt minutes je suis chez moi.
Je me suis transformée en torrent pendant des mois. Un torrent de mots et d’idées. Voilà ce qui est arrivé, après. Je suis devenue un barrage hydraulique, j’ai produit de l’énergie dans une caverne, ma maison.
Je ne savais même pas que c’était possible.
Voilà, c’est mon histoire d’amour.
C’est l’histoire d’une plume qui a donné à une autre plume ce qu’il fallait d’amour et de douceur pour s’envoler, et ce fut beaucoup, vraiment beaucoup.