Je suis en droit de ne plus attendre pour partir.
Sa tristesse ne m’émeut plus. Je vois désormais les petits détails ; son sourire graduel éphémère, son air contrarié tapi dans le bas de son visage, la violence de ses mouvements hachés de menus frottements irritatifs.
Engoncée dans son franc parlé carnassier et populaire, dévidant des paradoxes usuels et humiliants qui balaient d’un coup les aspects intuitifs de ma personne, elle me malmène avec trop d’attention, encombrée de politesse exigeante, m’envase dans une addiction, dépossédé. Je suis gentil.
Notre richesse comme un glacier : tout l’amour que j’ai pour elle perpétuellement recroquevillé d’agacement rencontre de puissants contre-courants.
Il fait mauvais temps.
Les voiliers tanguent dans le port, de ce tintement médiéval des bouts s’abattant sur les mâts robustes avec une forte odeur de chignon de mer traversé de vents écaillés. J’oublie mes difficultés debout en contemplant ce rhume du ciel, mes épaules trempées de mon visage à mes cheveux longs dégoulinants.
De l’autre côté du pont, la maison vit de granit, de levers et couchers de soleil. Elle ne s’affole jamais sous la pression des vampires ailés, mystères insondables qui vont et viennent en la titillant un peu : le toit sans âge, les gouttières repeintes, les volets mal fermés qui claquent comme des cymbales de marbre, rien, pas même les rafales qui la prennent en étau, ne font autre chose que la faire crisser sommairement. La maison ne bouge pas d’un yota.
Au petit jour, le grand voleur de pluie s’assied devant les nuages poisseux et rampants avec ses quatre fenêtres aux volets en bois ciselé qui divisent le monstre en nuit et journée. La petite voix de mon esprit erre entre eux comme un bateau silencieux.
Je suis très différent depuis que je suis sur la côte, logé par mon invasive indifférence. J’ai trouvé l’endroit où poser mon ancre et pourtant je m’ébroue tel un paon couvert de couteaux. Je planifie des actions, muni de pierres angulaires, tournant et retournant des mots vindicatifs dans mon cerveau, espérant les assommer.
Serait-ce ma destinée ? Être enseveli dans le sable chaud ? Accroché à mon chez moi comme à une reliure de cahier ? Suis-je seulement ce petit prédicateur terrien, vaurien, détracteur du repos éternel, cet homme qui croit qu’il voit ?
Me voilà désormais sans rives. Qu’est ce que j’aimerais avoir des rives !
Des pièces à moi, chaleureuses, couvertes par le ciel doux, avec des ondées qui sillonneraient les prés de mon âme, au milieu des lys sauvages, je saurais, j’en suis sûr, trouver le moyen de voguer sans vomir entre les ports insoumis et les longs poissons brillants qui marchent avec impertinences.
Je rêve de tout. De débris, de destruction, de tempêtes, de café et de danse. De cet endroit où je pourrais ranger mes affaires, mes livres, allumer les prières tamisées englouties sous un plaid, ouvrir la porte des matins sur une fraîcheur de toute quiétude, versant les pleurs chauds du ventre de ma liberté sur une rampe de rochers blancs et glissants.
Sur une rose étourdie de magnifiques banderilles sur son dos.
Un homme funambule, nourri d’orages et de pluies, parfois éclaboussé de griffures et de baisers, de souvenirs en esclavage…armez-moi, je vous en prie.