Je l’ai retrouvé dans la nuit ; au petit matin, plutôt
Rien n’avait changé, ni ses yeux bleus, ni sa vivacité, encore moins son cœur grand comme le ciel
Cette fois il m’embrassa, me toucha, se fondit en moi, j’avais l’impression d’un rêve
Il avait créé cette maison immense, peuplée de beaucoup de gens, tous affairés ; les uns travaillant devant un ordinateur, les autres faisant leurs courses, une jeune fille jouait du piano à queue ; du monde, il en sortait de partout
Je l’avais perdu, je savais qu’il vaquait à ses occupations, je me demandais ce que j’allais faire
À l’instant, je cherchais une brosse à dents et du dentifrice dans le supermarché local, dans la maison
Pour rester chez lui
Je n’avais rien pris dans mon sac, à mon grand étonnement
C’est alors que m’apparut cette vérité à moi propre : ce n’était pas de lui dont j’étais et j’avais toujours été amoureuse, c’était de ce que je reconnaissais, chez lui, comme me faisant cruellement défaut
Et cela je ne pouvais le lui prendre, m’en emparer ou le faire devenir mien, encore moins le lui dire
J’ai donc appris
J’ai appris à m’éclipser dans une bulle, à l’ombre des pommiers, sous la tonnelle, à contempler mon credo
Partout où il faisait bon respirer, les yeux chagrinés de merveilles, le sang échancré
Je restais cet émouvant détail, simple épouvantail épiant
J’ai compris que je m’affaisserais moins à ne pas le surveiller
Petite chose devant l’Eternel
Grand cirque où je pouvais barboter
J’ai appris à oublier ; faiseuse d’ordre, je guettais bord à bord les plis de ma vie
Comme si c’était la dernière fois que je me voyais
Remplie du risque de m’éparpiller.