Voici comment il m’a réveillé.
Il a soulevé mon étang de cyclamens endormis sur un radeau en friche. Toutes ces fleurs n’attendaient qu’un coup de baguette magique pour se muer en cerceaux dorés, en ogres de couleurs, en une symphonie monstrueuse. Je n’avais plus conscience de mon corps, de ma peau, de mes solstices. Ses mains ont embarqué ma brume sur de nouveaux vaisseaux, charpentés comme des bois de navigation, accoutumés aux vagues. Ses mains avaient appris la délicatesse d’une forge, qu’il a patiemment fait s’extasier au profond de ma gorge, faisant rougir l’autel dans un crépitement de terrier.
J’ai retrouvé la musique en moi. Le son de ma voix dans les oreillers, puis il a dit : « crie ! crie ! ». Le souffle remplissait mes poumons et la météorite restait coincée entre deux étoiles. Les caresses sur mes seins, petit à petit, ont ouvert son appétit, son besoin de boire. La monotonie des gémissements a laissé place à de petites soucoupes volantes, des chardons mauves sortant de ma bouche, pour devenir condors. Je sentais les couleuvres guerroyer mon sexe et je me prise à déployer mes lèvres abondantes. Tout homme devrait caresser les seins de son oiseau, longtemps. C’est comme ouvrir une boîte de Pandore. Ça vous rend aimable, aimante, attentive, infante et impératrice, gueuse et pucelle, femme de vie et vie de femme.
Il y a fait circuler ses doigts, sa langue, ses paumes, souvent et intentionnellement, sinueusement détendues, couplées avec mansuétude. C’est une onde chaude et tranquille qui se rassemble dans un missel au papier perpétuel. Le geste a quelque chose de calligraphique, de qualitatif, d’anthropologique. Archéologue des frémissements et de la chatte d’un diamant, citoyen des seins et de leur gouvernement, il m’a rendu ciel par ma croupe latérale : couchée sur le côté, j’ai offert mon derrière et mon infinie beauté.
Crochets du droit successifs, à mon entrejambe déperlant, je n’avais pas mal, j’avais le mâle dans mes occurrences. Génitrice, gardienne, aubade, soliflore de mes murs, il se trouvait un passage dans ma généalogie que je ne connaissais pas : un grand et long couloir vers mon sourire et ses bretelles à prendre toutes directions, que les os de sa main venaient prévenir, en rythme, qu’il était là, et comptait bien y rester. A répétition il a convoqué l’entrée de mon débauchage, poussant ses doigts et la vigueur de sa main jusque dans ma bouche. Ma vulve se dégourdit : faites place, je passe le seuil et je décroche les étoiles.
Il y a passé tellement de temps, que je n’arrivais pas à croire que l’on puisse tant me donner. Jusqu’à traverser mon outre-Rhin, me laisser percer de toute part, m’envahir de sa flotte, sculpter mon nombril, tailler mon métabolisme, croiser mes regrets avec mes remords, ciseler mon corps. Tournant mon regard vers lui, sans effort je me dirigeais vers un précipice amoureux, d’où je tombe encore.
Paris. Dixième arrondissement. L’hôtel. Son miroir devant le lit. Sa soupente. Moi, fumant une cigarette au balconnet vue sur les toits, une chemise d’homme sur mes vallées, ses doigts léchant les rebords du Danube ; à chaque balancement de ma tirette ouverte, j’entreprends la dame blanche et distille mes raisins au vendangeur par le bas du tonneau, un à un, juteux, devant tous ces gens qui ont raison de nous imaginer, empruntant les rayons au soleil, pour que suinte le meilleur de moi-même, de mon vin à sa soif.
Ce weekend-là, nous avons marché, arpenté les rues -comme on dit-. Il y a eu les bouquinistes, la petite table devant le café, lui qui fait mine de s’arrêter, moi qui fais mine de le croire.
Mes pas nous amènent vers ce square, où je suis déjà venue. Je reconnais l’arbre à quatre mains aux doigts étranges, le banc agile, les jeux pour enfants, et l’entrée du parking où j’ai cru un moment me noyer. J’y avais retrouvé un homme, cet automne-là, -nous étions maintenant en avril-, cet elfe, ce clair-obscur, mon double. Un homme de Neandertal dans mon agenda, un lustre de lumière, un doryphore. Extrait de la terre, j’avais pensé un instant qu’il s’y était propulsé pour m’attendre. De fait, je n’avais pas vu ses galeries, ses tunnels et les décibels en sourdine. Il avait sorti une bouteille de rosé et deux verres de cantine. Nous avions parlé et bu. Il essayait de me dire quelque chose. Puis nous avons disparu à jamais dans un lit d’hôtel. Je l’avais revu en rêve, la lumière éclairait le chemin jusqu’à lui, comme un conte impétueux et tangible. J’admets être trop impulsive parfois, je l’ai renversé sur mon corps, je ne sais toujours pas pourquoi il était là. Nous avons fumé notre jeunesse, amoureux, doux accords. Il n’était pas fibre et encore moins libre.
-Tout va bien ? Me dit mon nouveau compagnon devant mon regard interdit.
Je pense : oui, c’est bien le square, celui où j’ai retrouvé et perdu une vie.
– Oui, je suis déjà venue là.
Et nous bifurquons, sous mon impulsion, vers la gauche. A droite, c’était l’hôtel. Celui de l’homme derrière les barreaux. Nous nous arrêtons devant une étale de livres.
-Tiens, regarde celui-là, me dit-il. « Le pasteur ». Puis il se ravise : « Ah, non « Le Passeur ».
Etrange.
-Je sais, lui répondis-je.
Je savais quoi, au juste ?
Nous abandonnons les bouquins et entreprenons de nous trouver un endroit où déjeuner. Il a faim.
Son parfum, sa main qui m’accompagne partout de ma taille à ma taille, plus qu’un gentleman, un ardent journaliste. Une série d’histoires, d’anecdotes époustouflent petit à petit nos comportements, comme assis au dernier rang d’un cinéma devant un film de Mocky : du lourd, du scénario, des dialogues forts, de la répercussion, de l’humour et de la détente. Du relief ! Comme il dit.
Nous sommes pacifistes. Entrainés sous les cohortes de portes cochères, à l’angle de la rue, il fourrageait sous mon manteau, sous l’aisselle de ma cuisse, dans mon sillon brûlant. Une dame âgée s’approche, je suis timide. Passionnant. Nous avons cette étape à continuer, d’ailleurs. A reprendre, sis dixième arrondissement à Paris.
Nous n’avions pas encore commencé à écrire nos journées, faisions connaissance. Nous avons immédiatement rencontré notre douceur. Au restaurant, je vois bien qu’il me connait déjà. Assise en face de lui, attendant mon plat chinois, je décuple ma fantaisie. Il a ce regard qui chasse le brasier et cette voix qui fait mourir le temps. Depuis mon arrivée au train, il n’a cessé de me provoquer. Je l’aime et le hais d’autant.
J’ai mis bas ce weekend-là. J’ai enlevé, mangé, digéré le placenta. De la pure protéine pour mes nouveaux membres, pour ma cervelle et mon voyage spatio-temporel.
